mardi 13 septembre 2016

-Une vieille fenêtre-


Depuis des années cette fenêtre affronte le frimas, les averses de neige ou de grêle, la brûlure du soleil, l'insidieux brouillard.

Depuis des années, elle s'imprègne  des gaz des voitures et des camions. Mais elle résiste. Elle est la gardienne d'un espace retiré où l'on entend seulement  un tic-tac d'horloge ancienne.

Elle ne laisse passer qu'un peu de lumière qui vient danser et réchauffer le fauteuil où parfois un homme âgé se repose tout près du rideau blanc devenu gris lui aussi avec le temps. 



Il essaye de lire, mais les lignes de son livre se mettent à danser. Les mots perdent leurs sens les phrases se bousculent. L'horloge qui sonne parfois le réveille. Il regarde son livre comme il regarde la rue et le flot des voitures qui jamais ne s'arrête.

Il n'a pas encore la force de bouger, même si le soir vient. Le livre dans ses mains qu'il ne terminera jamais est devenu un ami. Il caresse la couverture, il hume le papier. Il danse aussi avec son regard noyé dans la lumière qui inonde la pièce et qui disparaîtra.
Il est seul depuis si longtemps, mais il ne se plaint pas. D'ailleurs à qui se plaindrait-il ?

C'est cela qu'il vit et il le vit entièrement. Assis à longueur de journées dans son fauteuil usé, c'est son existence.Un jour, il ne sait plus quand, il l' a simplement embrassé comme on serre très fort un enfant dans ses bras.

Dehors tout s'agite. la fête foraine bat son plein. Des cris parviennent à ses oreilles lorsqu'il entrouvre la fenêtre. Il peut aussi reconnaître le pas qui traîne du passant fatigué, ou le claquement des talons des jeunes filles énergiques. Il ne se cache pas. Il ne fuit pas les bruits du monde qui montent à sa fenêtre. Non, il regarde tout cela d'un autre rivage, le rivage de sa fenêtre qui a résisté au temps, aux intempéries, aux rugissements des moteurs. Il est à sa fenêtre comme on est en bord de mer et que tout s'élargit, que l'on respire soudain parce que l'espace que l'on cherchait avec angoisse est enfin là. 



C'est peut-être pour cela que sa fenêtre a résisté, malgré la peinture qui s'écaille et les fissures dans le bois. Il est amoureux de sa fenêtre. Il se tient derrière elle, un peu en retrait comme l'on sait mettre en valeur la personne que l'on aime en sachant s'effacer. Pour rien au monde, il ne l'aurait changé pour un cadre en plastique blanc qui ne sait pas respirer.

La nuit venue, peut-être quittera-t-il son fauteuil ? Peut-être viendra-t-il caresser la vitre en signe d'au revoir à cette amie fidèle qui jamais ne l'a déçu ? Ou bien restera-t-il dans l'obscurité à contempler le jeu des phares sur son papier peint ?



En tout cas, il restera seul, sans amertume et sans regret avec l'espace de sa fenêtre qui ne ment jamais  et a pris la place de son cœur.

 

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